Persévérance et aïkido

Il n’existe pas des milliers de façons de progresser dans l’acquisition d’un art. Le raffinement ne peut venir que de la répétition. Bien sûr il vaut mieux faire un pas dans la bonne direction que plusieurs dans la mauvaise. Le jugement, le discernement reste de mise, il ne s’agit pas de persévérer constamment dans de mauvaises habitudes. Lorsque l’on a trouvé son professeur, un dojo sérieux et agréable où l’on pratique un aïkido rigoureux apte à renforcer équilibre, puissance et souplesse, alors seule la persévérance permet d’ouvrir peu à peu les différentes portes de la connaissance. Ces portes sont d’abord invisibles au pratiquant débutant, mais à force de travailler les mêmes dispositions physiques et mentales, le corps se modifie, les blocages mentaux s’assouplissent et laissent place à un nouvel être, mieux disposé, plus ouvert.

Maître Tamura disait qu’il vaudrait mieux ne jamais avoir commencé l’étude de l’aïkido plutôt que d’interrompre sa recherche. En effet les transformations lentes mais profondes qui s’inscrivent en nous ne sont pas de celles que l’on peut obtenir en papillonnant, en zappant comme dans un buffet où l’on se rendrait selon l’humeur picorer de ci de là quelques bienfaits accessibles. L’esprit et le corps doivent s’accorder dans une harmonie. un ordre, une direction, à la bonne distance physique et mentale, au centre d’une énergie puissante. Rien de tout cela n’est promis au pratiquant impatient, consommateur irrégulier, visiteur d’un soir. Les années font la différence et continuent à ouvrir les portes de la compréhension de l’aïkido, de soi, de la vie.

À propos des grades

Autour de la question des grades plusieurs positionnements coexistent. Disons le d’entrée, je ne suis pas pour les tests standardisés au cours desquels chacun devrait produire, reproduire des gestes uniformes, appris par cœur et exécutés à différentes vitesses. Je crois en la dimension artistique de l’aïkido et n’adhère donc pas à une pratique uniformisée, évaluable selon des critères objectifs. Je ne crois pas non plus à des techniques débutantes et des techniques avancées. Le même mouvement peut être appris à tous les moments de son parcours et exécuté de façon plus ou moins subtile ou experte.

Pour certains, la voie se parcourt sans avoir besoin de balises, elle se dessine, chacun à son rythme et nul besoin de marquer d’étapes symboliques. Pour d’autres, il est préférable de cheminer selon certains repères stables et les grades en font partie. Je respecte les deux points de vue. Nous sommes tous différents.

Le grade ne sert pas à celui qui l’obtient car celui-ci est supposé connaître la nature et l’étendu de son aïkido et avoir une idée de ses limites et de ses points à travailler. Il ne sert pas non plus à son professeur qui connaît son niveau sans que cela ne soit écrit quelque part. Le grade est également inutile pour les partenaires habituels du pratiquant qui le connaissent et savent ses patiences, ses petits défauts, ses habitudes… Le grade est utile pour voyager et montrer sur un papier une reconnaissance de niveau à quelqu’un qui souhaiterait connaître l’expérience d’un pratiquant sans l’avoir vu sur le tatami. À l’instar du diplôme ou du label, c’est une reconnaissance écrite indicative. Il sert également à montrer d’où l’on vient, avec qui on a étudié, combien de temps…

Je serai disponible pour inscrire dans les passeports de ceux qui le souhaitent, les niveaux que je pense être les vôtres. Chacun pourra venir me voir en fin de cours pour cela. Je ne ferai pas d’examen de passage de grade, car enfin, quel professeur serais-je si j’avais besoin de cela pour connaître votre niveau ?

Empathie et aïkido

L’aïkido est une discipline personnelle, que personne ne peut apprendre à votre place et qui fait appel à nos qualités et à nos blocages intimes. Cependant il est impossible d’apprendre l’aïkido tout seul dans sa chambre, sur Internet ou dans un livre. Le seul moyen d’affiner notre art est de pratiquer avec une autre, tous les autres. La diversité garantie la multitude des situations, occasions de nouveaux apprentissages. L’autre dans toute sa différence nous est donc indispensable, sans lui pas de cours, pas de pratique, pas d’aïkido. Il est donc impératif de trouver la concorde, par l’empathie avec chaque partenaire d’exercice. Une personne avec qui on ne parvient pas à travailler est une occasion perdue entrainant la perte de temps, de sens, de motivation. Chaque membre d’un dojo à la responsabilité de veiller à l’harmonie générale. les plus anciens en priorité, bien sûr. Si des difficultés interviennent prenons cela comme une occasion de s’assouplir, de trouver comment entre deux énergies contradictoires il existe toujours une voix d’harmonie, celle de l’aïkido.

Connais-toi toi-même!

L’aïkido est l’occasion de s’étudier profondément. Réaliser correctement une technique exige une présence totale à soi-même. Aucun recours au passé, aucune projection dans le futur ne peut nous aider. Je dois comprendre que ce n’est pas mon bras qui est trop raide ou ma main pas assez ferme, c’est moi. L’autre n’est là que pour m’aider à me comprendre. Ce n’est pas de sa faute si je ne trouve pas immédiatement mon chemin. Toute projection mentale vers le futur formulée en terme d’objectif, de réussite, de niveau ou de modèle à atteindre est un détour qui m’empêche de me connaître aussi bien que nécessaire. Toute volonté trop ferme de réussir est une manifestation parasite creusant la distance entre celui que je suis et celui que je voudrais être, m’interdisant d’étudier ici et maintenant. Certes, il est bon de poursuivre son chemin, de chercher à être meilleur, mais cela doit advenir à force d’exercice, de respiration, de lâcher prise. Voilà pourquoi la pratique régulière, la recherche honnête et authentique permet de laisser éclore en nous l’aïkido qui nous correspond, celui que nous sommes seuls en mesure de réaliser.

Comprendre Tenkan

Tenkan exprime l’idée de changement. Il serait aisé de penser que le changement dont il est question revient tout simplement à pivoter sur un pied ou un autre pour changer de direction et ainsi esquiver une attaque. On voit bien souvent des pratiquants s’entraîner dans le vide à avancer et pivoter autour d’une l’attaque imaginaire dans les séances de préparations. En faisant cela, ils négligent une idée essentielle de l’aïkido, une idée qu’ils se plaisent pourtant à rappeler, celle d’être au centre du mouvement. Ils tournent le plus rapidement possible autour de aïte qui, de fait, se retrouve à occuper le centre de la roue des énergies en mouvement. En esquivant de cette façon, l’aïkido est de plus ramené à des préoccupations de rapidité, ce qui ne devrait jamais être le cas.

Je pense que Tenkan exprime la volonté de changer l’attaque droite, linéaire qui arrive sur nous, en un mouvement circulaire dont il convient d’occuper le centre. Et ainsi, immobile comme le moyeux de la roue, il n’est plus question de rapidité. Personne n’est plus rapide que celui qui est déjà idéalement placé et n’a pas à se mouvoir. C’est bien parce que le centre de la roue est immobile que la roue peut tourner. Imaginez un vélo dont les moyeux se déplaceraient continuellement le plus rapidement possible. La conduite, l’équilibre seraient totalement impossibles. Tenkan exprime donc le changement de direction, le déplacement de Uke par la force d’immobilité de Tori. Cette notion me paraît essentielle pour bien saisir le sens du travail, et sortir l’aïkido du piège d’une compréhension sportive privilégiant force et rapidité. Si ces aptitudes physiques étaient des critères valables, comment expliquer que notre aïkido s’améliore avec la vieillesse?