Gotai, Jutai, Ryutai, les lois de la cohérence

Il est curieux de constater comment ces 3 états de la pratique sont une source infinie d’inspiration. Gotai correspond au travail solide, statique, au travail sur soi et revient à se demander comment, face à une rigidité de situation, je peux m’en sortir en m’assouplissant. C’est un travail personnel, centré sur mes propres blocages. Comme dans la vie, nous cherchons à nous connaître puis à tricoter une personnalité qui nous correspond, à être un bon compagnon pour nous-même d’abord.

Puis Jutai invite à poursuivre ce travail intime tout en tenant compte de l’autre, des autres, des situations, des dynamiques qu’ils nous proposent où nous imposent. Ainsi le travail sur soi ne se fait pas de manière « hors-sol » il cherche à s’adapter, à répondre à des enjeux relationnels, des mouvements s’inscrivant naturellement dans le monde des autres avec le plus de fluidité possible.

Et puis Ryutai nous invite à comprendre que s’adapter à l’autre, aux autres est une démarche qui porte en elle ses propres limites. Si on n’y prend pas garde, il viendra un moment où le travail sur soi se heurtera à la présence des autres et de leurs propres trajectoires. Alors on cherche à s’élever à courber suffisamment l’espace pour que les abscisses et les ordonnées du destin nous soient favorables, que les hasards de la vie fassent bien les choses. Nous tricotons un temps et un espace dans lequel nos gestes vont de soi puisqu’ils s’inscrivent dans un univers qui nous correspond.

Ainsi travailler sur soi, avec les autres et dans l’univers permet un alignement qui, en aïkido comme dans la vie, ne cesse d’ajouter à la cohérence et à la définition de notre apport dans ce monde.

Sculpter l’espace

Certaines réalités se comprennent bien mieux lorsqu’on les regarde en dehors de la logique habituelle. Par exemple l’art de faire des nœuds n’est pas de confectionner des nœuds qui tiennent, cela n’importe qui en est capable, mais de faire des nœuds qui se détachent facilement après utilisation. Autre exemple, c’est parce que le bois ne brûle pas bien que l’on s’en sert pour chauffer. La paille ou le papier brûlent très bien, mais nous les laissons de côté quand vient l’hiver. L’architecte n’est pas là pour penser les murs mais pour déterminer des espaces où circuleront mouvement, chaleur et lumière. Nous pourrions continuer une longue liste de choses que nous avons pris l’habitude de mal regarder. Peut-être que l’aïkido en fait partie.

Quand on observe certains aïkidokas, il arrive parfois qu’ils mettent toute leur énergie à bien montrer chacun de leurs déplacements, de leurs gestes voire de leurs respirations. Leur technique est appliquée, méticuleuse et ne recèle aucun mystère, tout se voit, se comprend, s’analyse. Je crois que l’art de l’aïkidoka réside dans tout ce qui ne se voit pas si facilement.

L’aïkido permet de créer des abîmes, des déséquilibres dans lequel l’adversaire vient s’échouer sans très bien comprendre comment. Je considère que l’aïkido est l’art de sculpter ces espaces vides par des contre-temps, des décalages imperceptibles annihilant les velléités du partenaire. Ces micro-déplacements, ces ruptures se font dans le mouvement, dans le ma-aï que j’impose à l’autre, dans un même souffle. Impossible de les réaliser dans des démonstrations séquencées et les arrêts sur image ne font que nous éloigner de la possibilité de les percevoir. Parfois, par souci de pédagogie, le professeur décompose, analyse, donne à voir et à comprendre, permet de mesurer fait de son aïkido une science exacte au lieu d’un art. C’est dans cette volonté d’enseignement que disparaissent pour l’étudiant les possibilités d’apprentissage. Toutes les subtilités invisibles  de l’aïkido se comprennent à force de pratique mais ne peuvent s’expliquer. Tenter de le faire c’est confondre dispositif d’enseignement et environnement d’apprentissage. Or si le dojo est un lieu dans lequel il est possible d’étudier la voie, il se pourrait qu’il ne soit pas celui dans lequel il faille tenter de l’expliquer. Difficile de parler du vide, du mouvement, du souffle. Les figer c’est les trahir. Le Tao qui peut être nommé n’est pas le Tao prévenait Lao Tseu.

Nouveau livre!

L’autre chemin, c’est le vôtre! Si Ô Sensei était unique, son message demeure universel. Il revient à l’aïkidoka d’aujourd’hui de chercher dans l’enseignement traditionnel la façon de faire vivre l’aïkido en lui, ici et maintenant. Agissant à la manière d’un véritable guide, ce livre, hors des sentiers battus, invite le pratiquant à s’approprier les outils nécessaires afin de défricher un autre chemin, son propre chemin, qui avec les autres, participera à la grande aventure de l’aïkido et perpétuera la tradition.

L’Aïkido, pour la vie et la mort!

Dans notre discipline nous apprenons à manipuler des concepts aussi étranges pour une société policée que la violence, la vie, la mort, la douleur… On retrouve sur le tatami différentes dimensions fondamentales de l’existence et on pratique au niveau physique, énergétique, spirituel… Il semble même qu’une séance d’aïkido ait la capacité à faire ressortir nos plus belles qualités, nos blocages les plus inconscients, nos peurs les plus enfouies et parfois les traits de caractère que l’on se plait habituellement à dissimuler. En somme on fait de l’aïkido avec ce que l’on est et c’est ce qui le rend si précieux. Car en connaissant nos forces, nos limites nous pouvons travailler dessus et le résultat se ressent physiquement, psychologiquement.

Par les temps qui courent et les virus qui courent pourrait-on dire, notre relation à la peur, à la vie, à la mort, à la relation à l’autre est à nouveau interrogée. Nous devons savoir si nous accepterons de travailler à proximité de nos partenaires comme avant. Nous devons mesurer nos risques, peser les avantages de la pratique et le risque potentiel. Mais ne sommes-nous pas habitués par l’aïkido (entre autres) à faire preuve de jugement, à prendre des risques, à affronter plusieurs adversaires armés? N’apprenons-nous pas à jouer avec ces dimensions de vie et de mort? Chacun devra mesurer sa relation au risque et vivre avec. Je repense à cette phrase que l’on entend dans le film « Le dernier Samouraï ». L’empereur du Japon demande à Nathan Algren (Tom Cruise) de lui raconter comment est mort Katsumoto le seigneur japonais qui lui résistait. Et Nathan Algren de répondre: Je vous dirai plutôt comment il a vécu.

On se retrouve très prochainement!

Se libérer des six travers dans les arts martiaux

En préface du livre de Kisshômaru Ueshiba, L’esprit de l’aïkido, Taitetsu Unno rappelle les sages paroles de Yagyù Munenori énoncées dans Transmission de l’art du combat dans la maison Tokugawa qu’à mon tour je vous partage ici.

La finalité des arts martiaux est de surmonter six grands travers: le désir de vaincre, le désir de connaître des bottes secrètes, le désir de paraître, le désir de posséder un ascendant psychologique sur l’adversaire, le désir de rester impassible dans l’attente d’une ouverture et enfin… le désir de se libérer de tous ces travers.

À méditer…